L’exception d’inexécution : une mesure de contrainte temporaire

Les travaux réalisés par votre entrepreneur présentent des malfaçons et ce dernier tarde ou refuse de procéder aux réparations nécessaires. Votre êtes moniteur d’auto-école et votre client ne vous paie pas l’acompte demandé. Face à une inexécution ou mauvaise exécution du contrat, que pouvez-vous faire ? Une solution existe : l’exception d’inexécution.

Le principe

Le droit belge vous permet, lorsque votre cocontractant est en défaut d’exécuter ses obligations, de suspendre l’exécution de votre propre obligation tant que l’autre partie n’aura pas remédié à ses manquements. Il s’agit de l’application d’un principe général de droit : l’exception d’inexécution.

L’exception d’inexécution s’applique à tout contrat synallagmatique : c’est-à-dire tout contrat faisant naître des obligations réciproques et interdépendantes (exemples : le contrat de vente, le contrat de bail, le contrat d’entreprise, etc.). Pour illustrer ce principe, seul le contrat d’entreprise nous servira ici d’exemple.

Dans ce type de contrat (« synallagmatique »), l’exécution de l’obligation d’une partie dépend de la réalisation de l’obligation à charge de l’autre partie. Ainsi, dans l’exemple d’un contrat d’entreprise, l’entrepreneur doit exécuter l’ouvrage convenu dans les règles de l’art, et en contrepartie le client est tenu d’en payer les factures.

L’exception d’inexécution a pour objectif d’inciter la partie défaillante à exécuter ses obligations contractuelles. Le contrat n’est pas suspendu : seules les obligations de la partie ayant eu recours à ce moyen de pression sont suspendues. En cas de manquement de l’entrepreneur et eu égard à l’interdépendance inhérente des obligations tirées de ce contrat, vous pouvez invoquer l’exception d’inexécution et suspendre temporairement votre obligation de paiement.

Pour l’exprimer simplement, l’exception d’inexécution permet à l’un de dire à l’autre qu’il ne répondra pas à ses propres obligations tant que ce dernier n’aura pas d’abord agit conformément au contrat. Bref, la politique ancestrale du « toi d’abord ! »… mais encadrée par le droit.

Cinq conditions à remplir

Pour pouvoir suspendre ses obligations dans le respect de la loi, l’exception d’inexécution doit être invoquée à bon escient en respectant les cinq conditions que voici :

  • Obligations simultanées

Tout d’abord, les obligations des parties doivent s’exécuter simultanément, trait pour trait.

L’obligation de payer les factures et celle de réaliser les travaux doivent être exigibles simultanément. Vous ne pouvez par exemple pas reprocher un retard dans l’exécution des travaux lorsque le contrat d’entreprise prévoit expressément le versement d’un acompte avant le début des travaux. Il faut qu’il y ait simultanéité des obligations.

  • Inexécution fautive

Ensuite, l’exception d’inexécution suppose que l’inexécution soit fautive.

Elle ne peut donc résulter d’un cas de force majeure. La suspension des travaux pour cause de conditions météorologiques défavorables ne constitue ainsi pas une inexécution fautive.

Cela signifie aussi qu’une partie à un contrat synallagmatique ne peut suspendre l’exécution de ses propres obligations que pour autant qu’elle soit en mesure de prouver que son cocontractant est resté en défaut d’exécuter les siennes. En cas de malfaçon, vous pouvez par exemple faire appel à un expert qui constatera contradictoirement les différents manquements de l’entrepreneur dans un procès-verbal, vous permettant ainsi d’invoquer légitimement l’exception d’inexécution et suspendre votre paiement tant que les travaux n’auront pas correctement été exécutés.

  • Manquement grave

Il faut également que l’inexécution soit suffisamment grave et d’une certaine importance.

La partie défaillante doit avoir manqué gravement à des obligations contractuelles essentielles. Pour justifier l’exception d’inexécution, il faudrait par exemple que les manquements de l’entrepreneur soient tels qu’ils mettent en péril la solidité de l’immeuble ou rendent l’immeuble impropre à l’exercice de toute activité commerciale. Il n’est donc pas question d’invoquer une broutille ou de faire feu de tout bois pour retarder le paiement de ce qui est dû.

  • Mise en demeure préalable 

En outre, avant de suspendre les siennes, toute partie qui se prévaut de l’exception d’inexécution doit mettre en demeure l’autre partie de respecter ses obligations contractuelles (ou à tout le moins lui notifier son intention de recourir à ce moyen de pression).

Cette interpellation peut se faire par tout moyen de droit et il n’est pas requis qu’une mise en demeure soit envoyée à la partie défaillante. Il est cependant fortement conseillé de recourir à une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception. L’entrepreneur défaillant ainsi prévenu pourrait alors s’exécuter et remplir ses obligations (ce qui est, rappelons-le, le but recherché). Il n’est par contre pas recommandé de faire exécuter les travaux par un tiers entrepreneur  sans l’autorisation préalable d’un juge.

  • Bonne foi

Enfin, l’exception ne peut être invoquée dans des conditions contraires à la bonne foi.

La partie qui l’invoque ne peut être à l’origine de l’inexécution de son cocontractant, elle commettrait un abus de droit. Le retard dans la réalisation des travaux doit être imputable à l’entrepreneur. Le retard dans la réalisation des travaux qui serait dû au refus de donner accès au chantier n’est bien évidemment pas un motif suffisant pour suspendre le paiement des factures reçues.

Quid de l’intervention d’un juge ?

L’exception d’inexécution peut être invoquée sans l’intervention ou le contrôle préalable d’un juge. Ce dernier peut éventuellement intervenir a posteriori, afin de contrôler le respect des conditions de mise en œuvre. Le juge pourrait donc être amené à rejeter l’exception d’inexécution qui serait soulevée en contrariété avec les conditions exposées ci-dessus.

La jurisprudence nous en donne quelques exemples :

  • un locataire qui suspend le paiement du loyer en raison de la défaillance de la sonnerie de la porte d’entrée (absence de manquement grave) ;
  • un client qui reproche à son fournisseur une livraison incomplète alors que la commande n’a pas été effectuée dans les conditions prévues contractuellement (inexécution non imputable au fournisseur) ;
  • une livraison de marchandises suspendue sans avertissement (absence de mise en demeure préalable) ;
  • une suspension d’un contrat de maintenance informatique sans l’envoi préalable de rappels de paiement (idem).

Conclusion

Le principe de l’exception d’inexécution n’est pas d’ordre public. Les parties sont donc libres d’organiser ou modaliser son exercice en insérant par exemple une clause qui en exclut l’exercice ou la subordonne au respect d’un certain délai.

L’exception d’inexécution est une mesure de contrainte et un moyen de pression temporaire, qui prendra fin lorsque la partie défaillante aura exécuté ses obligations. Pour éviter toute déconvenue, il convient de prendre toutes les précautions qui s’imposent et d’agir avec toute la diligence nécessaire, en s’assurant de respecter les conditions légales de mise en œuvre.

Attention : cette note a été rédigée à des fins essentiellement pédagogiques et vise à informer nos affiliés de la législation qui les concerne. Elle ne constitue en aucun cas un exposé exhaustif de la réglementation applicable. Pour une analyse personnalisée de votre situation, merci de bien vouloir prendre contact avec le service juridique de votre province d’affiliation. En utilisant les informations contenues dans ce billet, le lecteur renonce à mettre en cause la responsabilité de l’Union des Classes Moyennes et de l’auteur, même en cas de faiblesse ou d’inexactitude, flagrante ou non, de son contenu.