Obtenir un ruling social

Notre chronique du mois d’avril dernier fut pour nous l’occasion de vanter les mérites de prévisibilité et de sécurité juridique du mécanisme permettant l’obtention d’une décision anticipée (ou « ruling ») en matière fiscale. L’existence d’un système analogue en droit social fut brièvement évoquée. Nous nous y penchons plus avant aujourd’hui.

  1. Quels sont les enjeux ?

Obtenir un ruling n’est pas uniquement chose appréciable en matière fiscale. En droit social aussi la législation est complexe et, lorsqu’une relation de travail n’est pas claire, une décision anticipée reste bienvenue.

Déterminer si une personne doit être considérée comme un travailleur indépendant ou comme un travailleur salarié est parfois une tâche compliquée tant la frontière entre les deux statuts peut être ténue. L’enjeu est d’autant plus important que, la liberté de choix entre les deux régimes étant loin d’être absolue, en cas d’erreur quant à l’exacte nature de la relation de travail, et notamment en cas d’emploi de faux indépendants, il y a commission d’une fraude sociale grave, lourdement sanctionnée.

En effet, il faut savoir que l’ensemble des conséquences découlant de la requalification de la nature de leur relation de travail pèsera sur le seul donneur d’ordre (qui est en réalité un employeur), à l’exclusion du faux indépendant (qui aurait dû pour sa part être qualifié d’employé). Malheureusement pour le donneur d’ordre, les conséquences sont plutôt sévères. Jugez plutôt :

  • paiement des cotisations de sécurité sociale tant patronales qu’à charge du travailleur et qui auraient normalement dû être acquittées durant les trois dernières années d’activité (sept ans en cas de fraude avérée) ;
  • intérêts de retard en paiement sur lesdites cotisations à hauteur de 7% l’an ;
  • majoration supplémentaire de 10% à titre de pénalité.

En outre, en cas d’action introduite en ce sens par le faux indépendant, le donneur d’ordre pourrait également être tenu de verser au demandeur un montant équivalent à l’ensemble des pécules de vacances, primes de fin d’année, rémunérations dues à l’occasion de jours fériés et autres avantages divers et variés auxquels donne droit la législation sociale applicable aux employés.

Bref, un très puissant retour de manivelle en perspective et ce sans même compter les éventuelles implications pénales que pourrait avoir une requalification de la nature de la relation de travail…

Enfin, si la majeure partie des conséquences directes de la requalification de la nature de leur relation de travail frappe le donneur d’ordre, il serait erroné de croire que le faux indépendant s’en tirera sain et sauf. Pour sa part, la sanction, plus insidieuse, est la suivante : l’ensemble des droits auxquels le faux indépendant aurait pu prétendre en qualité de salarié sont définitivement perdus pour toute année de labeur dépassant le délai de prescription, soit au-delà des trois dernières années d’activité. De plus, cette même prescription frappera également toutes les sommes versées à l’INASTI en paiement des cotisations sociales à charge du travailleur indépendant de sorte qu’aucun remboursement desdits montants ne pourra être attendu. Le faux indépendant ne bénéficiera donc jamais des droits sociaux qu’aurait dû lui ouvrir le paiement de ses cotisations. De l’argent perdu en somme…

  1. La législation sociale est-elle à ce point complexe qu’elle rende nécessaire l’obtention d’un ruling ?

Il est évident que la réponse à cette question dépend pour l’essentiel du degré d’ambiguïté ou de complexité de la relation de travail. Afin d’évaluer celle-ci en connaissance de cause, un rapide rappel de la réglementation applicable s’impose.

Ceux que l’on qualifie de faux indépendants sont des travailleurs qui, bon gré mal gré, adoptent le statut social de travailleur indépendant alors qu’ils exercent en réalité leur activité professionnelle sous l’autorité de leur cocontractant, et donc en qualité de travailleur salarié. Ce recours aux faux indépendants permet d’échapper au coût du travail en évitant le paiement d’une multitude de charges, patronales ou autres, pesant sur le travail salarié. En agissant ainsi, donneur d’ordre et travailleur violent gravement le principe de solidarité sur lequel repose l’ensemble de notre système de sécurité sociale.

Ayant ce qui précède à l’esprit, on comprendra aisément que, si les parties sont libres de convenir ensemble de la nature du contrat qui les lie, encore faut-il que leur comportement ne révèle pas l’existence d’éléments de fait incompatibles avec la qualification retenue.

A cet égard, la loi-programme du 27 décembre 2006 prévoit trois types de critères d’appréciation de la relation de travail : les critères qui ne peuvent être utilisés (dits « neutres »), ceux applicables à toute relation de travail et permettant la détermination de l’existence ou non d’un lien de subordination (dits « généraux »),et enfin ceux propres à un secteur ou une profession (dits « spécifiques »).

Ce qui distingue fondamentalement le travailleur salarié, dont le contrat de travail est régi par le droit social, du travailleur indépendant, lié par un contrat d’entreprise relevant du droit commercial, c’est l’existence (ou non) d’un lien de subordination dans l’exercice de leur profession.

Appliqués à une situation concrète, et pour autant que ceux-ci convergent dans un même sens, les critères généraux, et éventuellement spécifiques, permettront de conclure à l’absence ou à la réalité du lien de subordination.

C’est, pour l’essentiel, l’utilisation d’une telle méthode, dite indiciaire, qui peut se révéler être la source de l’insécurité juridique que nous pointions en préambule.

  1. Obtenir un ruling social

Pour y remédier, la Commission administrative de règlement de la relation de travail est chargée, lorsqu’une relation de travail n’est pas claire, de décider de sa nature. En clair: elle détermine si une personne doit être considérée comme un indépendant ou un salarié. La commission est composée de représentants du SPF Sécurité sociale, du SPF Emploi, de l’INASTI et de l’ONSS.

La Commission peut être saisie d’un dossier à la demande conjointe des parties ou à l’initiative de l’une d’entre elles seulement. Il est possible de lui soumettre une requête avant l’entame de la relation de travail pour laquelle une décision est attendue ou, s’il s’agit d’une demande unilatérale, au plus tard dans un délai d’un an à dater du début de la relation de travail. Dans certains cas, la Commission peut donc être saisie malgré le fait que la relation de travail ait déjà été entamée.

En pratique, le demandeur utilisera un formulaire standard disponible sur lesite de la Commission , à remettre à l’accueil du SPF Sécurité sociale, à envoyer par recommandé (pas de courrier postal ordinaire) ou, pour autant que l’une des parties soit affiliée à une Caisse d’assurances sociales, celle de l’UCM par exemple, par l’intermédiaire de cette dernière.

Les principales informations nécessaires au traitement de la demande sont les suivantes : identité des parties, secteur et description de l’activité exercée dans le cadre de la relation de travail, qualification de la relation de travail choisie, description de l’organisation et du temps de travail. Il est en sus demandé de préciser le motif de la demande et de fournir tous documents utiles ou nécessaires à la qualification de la relation de travail.

La Commission dispose d’un délai non contraignant de trois mois pour rendre sa décision. Celle-ci est susceptible d’appel devant les juridictions du travail et lie pour trois ans l’ensemble des institutions représentées à la Commission administrative de règlement de la relation de travail en plus des fonds d’assurances sociales pour travailleurs indépendants.

Pour toute question complémentaire, contactez votre conseiller juridique en Brabant wallon, Louis Tonneau : 010 49 59 86 ou louis.tonneau@ucm.be.

Attention : cette note, qui fait suite à un premier article consacré au ruling social paru au mois de février 2014, a été rédigée à des fins essentiellement pédagogiques et vise à informer nos affiliés de la législation qui les concerne. Elle ne constitue en aucun cas un exposé exhaustif de la réglementation applicable. Pour une analyse personnalisée de votre situation, merci de prendre contact avec le service juridique de votre province.