Faillite de mon bailleur : qu’adviendra-t-il de moi ?

Il est régulièrement conseillé aux commerçants de conclure un contrat de bail commercial. Celui-ci présente en effet d’évidentes garanties de stabilité, indispensables au développement d’une activité commerciale et à la fidélisation de la clientèle. S’il est bon locataire, le commerçant se voit donc assuré de son maintien dans les lieux. Mais qu’en est-il lorsque le bailleur défaille ?

  1. Quel est le problème ?

La question soulevée n’est pas évidente et, s’agissant d’un bail commercial, il convient de distinguer deux hypothèses :

  • En cas de procédure de réorganisation judiciaire

Pour autant que le locataire respecte bien l’ensemble de ses obligations découlant du contrat (loyers payés en temps et en heure par exemple), l’obtention d’un sursis provisoire par le bailleur en difficulté dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire ne met pas fin aux contrats et, par conséquent, pas fin à celui de bail commercial. Pas d’imminente menace d’expulsion en vue donc. Soyez rassuré(e).

  • En cas de faillite

Pour ce qui est de la faillite, la difficulté vient du fait que deux lois coexistent: en l’occurrence, la loi sur les baux commerciaux et la loi sur les faillites.

D’une part, à la lecture de la loi sur les baux commerciaux, le seul fait que le bailleur ou le locataire tombe en faillite ne change rien au contrat de bail semble acquis. En outre, les clauses prévoyant une terminaison automatique du contrat de bail en cas de faillite doivent être considérées comme nulles et non avenues.

D’autre part, la loi sur les faillites prévoit expressément que “dès leur entrée en fonction, les curateurs décident sans délai s’ils poursuivent l’exécution des contrats conclus avant la faillite” (art. 46). Nous serions tentés d’en conclure que, a priori, rien ne s’oppose à ce que le curateur du bailleur puisse décider de mettre unilatéralement fin au contrat de bail commercial préexistant. Le curateur peut en effet avoir plus d’une raison de demander une résiliation anticipée du contrat : volonté de ne plus assumer de lourdes charges d’entretien du bâtiment et postulat d’une vente plus rapide et à meilleur prix d’un bien libre de toute occupation en sont des exemples parlants. Face aux intérêts du bailleur et de ses créanciers, défendus par le curateur de la faillite, on imagine aisément le profond désarroi du locataire qui, alors qu’il ne porte aucune responsabilité dans l’affaire, n’aurait plus que ses yeux pour pleurer une fois l’expulsion prononcée.

  1. Et donc ?

Si ma situation n’est pas directement menacée en cas de procédure de réorganisation judicaire, qu’en est-il finalement s’agissant d’une faillite du bailleur ?

La solution à cet apparent conflit d’intérêts entre bailleur et locataire nous est donnée par la Cour de cassation au travers de deux arrêts (2004 et 2008) ayant fait grand bruit.

En allant à l’essentiel, nous pourrions résumer la solution donnée par la Cour de cassation comme suit : le curateur n’a le droit de résilier unilatéralement le contrat de bail commercial (même enregistré) que dans les limites nécessaires à la bonne administration de la masse. Autrement dit : le curateur ne peut mettre fin à un bail que lorsque celui-ci entrave la liquidation normale de la faillite. On estime notamment que la situation requiert une résiliation des contrats lorsque leur continuation « fait obstacle à la liquidation de la masse ou compromet anormalement la liquidation ». Une répercussion négative de la continuation du contrat avec le failli sur le prix de vente du bien immeuble ne suffisant pas pour octroyer au curateur le droit de résilier le contrat, le curateur ne sera en pratique habilité à mettre fin aux contrats que dans des cas extrêmes pour lesquels il motive à suffisance la nécessité de la résiliation dans l’intérêt de la masse. Tout en le limitant à l’ « indispensable pour mener à bien la liquidation », un droit de résiliation au bénéfice du curateur est ainsi affirmé par la Cour de cassation. En conséquence, le cocontractant du failli court quant à lui le risque de se voir effectivement privé des droits découlant du contrat de bail commercial en cours au moment de la faillite.

Pour mémoire, il est bon de noter que les enseignements de la Cour de cassation que nous évoquons ci-avant se heurtent de manière particulièrement violente à une partie de la doctrine. Ainsi, Alain Zenner dira considérer que « le curateur ne peut pour autant pas mettre fin à ces contrats sans respecter les stipulations conventionnelles ou les dispositions légales applicables. « Ne pas poursuivre l’exécution » ne veut pas dire « priver le cocontractant de ses droits » […]. Le meilleur exemple concret est celui du bail : si le curateur d’un propriétaire déclaré en faillite décide de ne pas poursuivre le bail, le locataire ne pourra le contraindre à entretenir les lieux et à garantir sa jouissance ; mais rien n’empêche le locataire de rester dans les lieux après la faillite du propriétaire, sans que le curateur ne puisse l’en expulser pour vendre le bien libre d’occupation à meilleur prix. Le fermier ne pourra être privé de son bail à ferme, ni le détaillant de son droit au bail commercial ; après la vente du bien ils pourront faire valoir leurs droits envers l’acquéreur ». Rejoignant cette analyse, plusieurs parlementaires déposèrent en mai 2008 une proposition de loi interprétative de l’article 46 de la loi sur les faillites. Il fut alors proposé que les curateurs ne puissent « mettre fin à ces contrats qu’en se conformant aux dispositions légales et contractuelles applicables » et que « la décision de ne pas exécuter un contrat en cours ne prive pas la partie qui a contracté avec le failli des droits qu’elle puise dans ce contrat ». La proposition de loi n’aboutira cependant pas faute d’avoir été votée avant les élections législatives fédérales de mai 2010 et la dissolution des assemblées parlementaires. Il convient donc de s’en référer aux seuls enseignements de la Cour de cassation dont nous rappelions les grands traits dans le paragraphe précédent.

Enfin, si le curateur décide à l’inverse de procéder à la vente de l’immeuble du failli sans résiliation du contrat de bail dont il fait (en tout ou en partie) l’objet, la loi relative au contrat de bail commercial jouera alors pleinement son rôle en ne permettant à l’acquéreur d’expulser le locataire que sous réserve d’un long préavis, en motivant sa décision et dans des circonstances particulières dont la loi dresse la liste précise.

  1. Que faire ?

L’adage a beau être vieux comme le monde, il n’a en rien perdu de sa pertinence : « mieux vaut prévenir que guérir », y compris en matière de bail commercial. En pratique, le commerçant à la recherche d’une surface commerciale devra, tout comme le bailleur le fait vis-à-vis des candidats-preneurs, s’enquérir de la solidité financière de celui avec lequel il contracte. Pour se faire, les possibilités sont multiples : consultation des comptes annuels de la société bailleresse, recours à des sociétés spécialisées, sollicitation de l’avis du voisinage direct du bailleur, etc.

Si vous êtes déjà titulaire d’un bail commercial, outre surveiller l’état de santé financière de votre bailleur, votre marge de manœuvre est limitée. Scrutez toutefois le marché locatif et, si l’état de vos finances et les circonstances le permettent, installez-vous dans une nouvelle surface commerciale proche de l’ancienne mais dont vous connaissez la plus grande solidité de son bailleur.

Enfin, s’il est déjà trop tard et que votre bailleur tombe en faillite, n’oubliez pas que, aidé d’un avocat, il n’est pas vain de faire valoir devant le tribunal que votre expulsion n’est nullement nécessaire à la bonne gestion de la faillite. Malgré les coûts de procédure, et pour autant que votre commerce ne soit pas déjà moribond, il ne fait aucun doute que vous avez plus à y gagner qu’à y perdre.

Nous le voyons, quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvons, la faillite du bailleur commercial peut bien souvent être synonyme de préjudice grave pour le locataire. Tâchons simplement de ne pas l’oublier.

Pour toute question complémentaire, contactez votre conseiller juridique en Brabant wallon, Louis Tonneau : 010 49 59 86 ou louis.tonneau@ucm.be.

Attention : cette note a été rédigée à des fins essentiellement pédagogiques et vise à informer nos affiliés de l’actualité juridique, des bonnes pratiques et des précautions d’usage qui les concernent. Elle ne constitue en aucun cas un exposé exhaustif de la règlementation applicable. Pour une analyse personnalisée de votre situation, merci de prendre contact avec le service juridique de votre province. En utilisant les informations contenues dans ce billet, le lecteur renonce à mettre en cause la responsabilité de l’UCM Brabant wallon ASBL et de l’auteur, même en cas de faiblesse ou d’inexactitude, flagrante ou non, de son contenu.